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Tolkien le catholique.
#68
Merci Hisweloke et Druss pour ces précisions.

Il est clair (enfin, à mon avis) que le Seigneur des Anneaux et l'ensemble de l’œuvre de Tolkien ne sont pas un décalque du catholicisme romain dans un monde de fantasy, et qu'il serait vain de vouloir retrouver dans l’œuvre les dogmes et les figures du catholicisme romain, surtout d'une manière systématique.

Il est toutefois aussi clair, je pense, que Tolkien, surtout dans les années tardives que cite Hisweloke, s'est posé - par rapport à l’œuvre - des questions fondamentales que se posent tous les croyants, et aussi des non-croyants, sur la nature du monde, celle de l'Homme, du Mal et de ses origines. Ces questions, et les réponses qu'il a tenté d'y apporter, semblent s'inscrire dans le cadre sa vision personnelle, qui était chrétienne, et en particulier catholique romaine.

Réfléchir sur les rapports entre la foi de Tolkien d'une part, et la "doctrine" implicite en matière philosophique, théologique et métaphysique contenue dans son œuvre d'autre part, nécessite quelques précautions préalables. Il faut, je crois, tout d'abord bien connaître l’œuvre tolkienienne. Non seulement l'avoir lue, mais l'avoir assez "travaillée" pour y faire des références précises, non seulement tirées du SdA, mais de toute l’œuvre telle qu'elle se présente à nous, c'est-à-dire dans son évolution (connue grâce à HoME). J'avoue que je ne la maîtrise pas assez aujourd'hui pour avoir ce niveau. J'y travaille.

D'autre part, il faut aussi posséder une culture solide en matière d'histoire des religions, de philosophie, de métaphysique, etc. Les grandes questions auxquelles je faisais allusion au début de ce message, ont été abordées par d'innombrables penseurs issus de toutes les cultures, de toutes les religions/traditions. Le catholicisme romain de Tolkien, par exemple, n'est pas un bloc homogène isolé du reste du monde, c'est un courant de pensée théologique vivant et donc évolutif, en relation avec d'autres courants plus ou moins éloignés ou proches avec lesquels il partage ou non certains concepts et certaines valeurs. Ces proximités peuvent se retrouver dans l’œuvre tolkienienne, d'une manière plus ou moins explicite. Par exemple, l'Ainulindalë est à la fois très originale (la notion de création musicale est une belle invention poétique), mais aussi très proche, dans ses grandes lignes, de toutes les conceptions cosmogoniques de la tradition judéo-chrétienne – et pas seulement catholique romaine. En tentant de concilier une origine unique (Eru) avec une mythologie apparemment polythéiste (les Ainur, dont certains deviennent liés à Arda : les Valar et les Maiar), l'Ainulindalë et sa suite, le Valaquenta, se rapprochent de conceptions cosmogoniques gnostiques où la Création se produit par émanations en plusieurs étapes, dans une graduation facilement accusée de "panthéisme" par l'orthodoxie chrétienne. Les Ainur sont à la fois les « anges » de l'angélologie d'origine sémitique, et, en tant que Valar et Maiar, les « dieux » des paganismes indo-européens. Dans ce contexte, il semble en effet impropre d'assimiler Eru Iluvatar au « Dieu » du christianisme catholique. Il n'est ni Dieu-le-Père, ni, évidemment, le Fils ou le Saint-Esprit, ni même le Dieu triple.

La Création par émanation implique aussi la notion d'exil de l'Homme dans une terre dominée par le Mal et, en effet, dans l’œuvre tolkienienne, les Enfants d'Iluvatar sont (presque) tous soumis au "marrissement" d'Arda. Seuls les Elfes restés en Aman y échappent (et encore). Aman est alors comme une projection de la perfection divine sur la terre, mais elle est inaccessible au commun des mortels. La nature de l'Homme (et par extension des Elfes et des Nains) est une question fondamentale, et je manque encore de culture tolkienienne pour avoir une opinion définitive. Il me faut étudier des textes comme l'Osanwe-Kenta, décortiquer les notions de sáma – fëa – hroa (y a-t-il corrélation avec la notion traditionnelle esprit-âme-corps ?), ou la question du destin des Enfants d'Iluvatar.

En l'état actuel de mes connaissances tolkieniennes, il me semble que le Conte d'Arda, loin d'être un simple décalque du catholicisme romain, relève plutôt d'une synthèse volontaire entre une cosmologie d'origine sémitique – plus préchrétienne que réellement chrétienne – et une mythologie de type indo-européen.

De nombreux éléments typiques du christianisme catholique sont absents : la Trinité, Dieu Un en trois personnes ; l'Incarnation de Dieu sous forme humaine, dans le sein d'une Vierge ; une Église des Saints, intermédiaire entre les hommes et Dieu ; le péché originel ; des sacrements et des rites (baptême, eucharistie, ordination...), etc.

En revanche, les éléments indo-européens sont bien présents et méritent une étude plus approfondie. Je pense en particulier au ternaire fondamental, dont les trois fonctions duméziliennes ne sont qu'une expression particulière.

Bref, il y a du pain (béni) sur la planche, et j'espère contribuer à ce travail de compréhension, à mon niveau et avec les outils dont je dispose.

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