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La loi des forêts*
#4
.oOo.
– Viens vite, Grand-père ! souffla Bera.

La femme vive et athlétique redescendit la colline à petites foulées, pour prendre par la main le vieux chasseur. Le grand père s’attardait à contempler attentivement un charme décapité par la foudre, où nichait une belle ruche. Il faisait grand-jour en cette matinée de printemps, et pourtant les industrieuses abeilles n’étaient pas sorties…

– Je sens qu’il se prépare quelque chose… Mais où m’emmènes-tu ?
– Je l’ai vu ! lança-t-elle excitée. Il faut que tu le voies ! Ce serait justice, toi qui m’en as parlé toutes ces années…

Le duo parvint au sommet de l’escarpement. Ils se tapirent essoufflés sous l’ombre d’un bosquet de coudriers, dérangeant une portée d’écureuils. Un vaste vallon clairsemé de pins s’ouvrait devant eux.
Les nuées roulaient des présages anthracite, que perçait par endroits un soleil ardent. Une harde de cerfs paissait là, les mères houspillant les jeunes et les poussant du museau pour les assembler. De grands mâles, loin de s’affronter, semblaient se ranger à l’extrémité orientale de la clairière. Dans la douceur du printemps s’éveillait une effervescence, l‘air chargé de musc charriait les rumeurs d’une menace, la forêt sentait approcher l’heure d’une confrontation.

Alors ils le virent. Un cerf immense, aux ramures majestueuses et acérées, semblait exhorter ses semblables, grattant le sol du sabot et soufflant d’un air belliqueux. Les bois des plus puissants de ses vassaux lui parvenaient à peine au garrot. Le Roi-Cerf éleva la tête et lança un brâme assourdissant. L’appel primal, rauque et profond, semblait retentir du fond des âges, pour réveiller la force au cœur de chaque habitant de la grande forêt. Une souillure se répandait, le règne animal allait s’y opposer.

Les deux humains ébahis contemplèrent longuement cette force de la nature, cet esprit de la forêt incarné en vitalité indomptable. Sa robe argentée scintillait sous les rais séraphiques qui tombaient du ciel et nimbaient d’or la couronne armant son front de dagues acérées.

Le grand-père, le premier, se ressaisit :
– Je te l’avais dit, il se passe quelque chose ! Une sorcellerie de Dol Guldur… Rentrons au village, on a besoin de nous !

Le duo s’élança parmi les taillis, tandis que des nuées de corbeaux prenaient possession des hautes branches. Glissant silencieusement entre les troncs, ils tombèrent comme la foudre sur quelques éclaireurs – des gobelins fureteurs, sales et craintifs, qui tombèrent sans même avoir aperçu le danger, par la flèche du chasseur ou la hache de la guerrière.

Le village était assailli. Le duo tomba dans le dos d’un groupe d’orques, taillant têtes et membres avec la fureur d’un couple d’ours en colère. Des villageois accouraient, désarmés, rattrapés en pleine course par quelques loups maléfiques aux yeux de braise. La colère de Bera s’éveilla vraiment – elle s’élança vers les cultures où s’élevaient des cris et des appels à l’aide. Arduyr poursuivit sa route jusqu’au village, abattant avec une froide détermination, tout ennemi passant à sa portée.

Bera fit un carnage dans les cultures. Des gobelins malmenaient les enfants qu’ils avaient surpris en pleine cueillette, ou occupés à lier des margotins. En un instant elle abattit le chef et sa garde, dispersant leur clique couarde et braillarde. Les enfants rassemblés en bon ordre furent armés des coutelas gobelins et envoyés droit au village, tandis que Bera s’élançait à l’assaut des enclos, où des hommes s’étaient retranchés.

Au retour des chasseurs, Arduyr avait rassemblé les femmes et les enfants dans la redoute qui commandait le grand portail du bourg. Ensemble, armés de leurs arcs, ils empêchaient les assaillants d’en approcher. Lorsqu’un grand orque bardé de mailles clinquantes passait à portée en brandissant une torche, Arduyr l’ajustait et lui faisait payer sa témérité.

Ainsi quelques ilots de résistance s’étaient spontanément organisés, permettant aux guerriers de se rassembler et de mener la contre-attaque victorieuse. Les hordes de Dol Guldur furent poursuivies avec une férocité sans pareille. Ce jour funeste, la peur changea de camp.

Les guerriers revinrent au milieu de la nuit, exténués, le regard vide, menés par le changeur de peau. Bera, la dernière, surgit des ombres nocturnes, furie vengeresse dépenaillée et hirsute, encore habitée par l’ardeur du combat et la haine du loup. Elle avait brisé l’assaut des ouargues et provoqué le roi-loup en duel. La pelisse sanglante du monstre pendait à présent au baudrier de la puissante guerrière.
Le vieux chasseur l’accueillit, le regard admiratif et le cœur soulagé.
La femme était couverte de coupures et d’ecchymoses – l’ardeur de ses armes l’avait préservée des blessures mortelles et la chance avait écarté les traits empoisonnés des gobelins. Le grand-père étendit ses bras noueux autour des épaules de sa petite-fille, qui s’élevaient et s’abaissaient encore au rythme de son souffle au combat :
– Te voilà prête, à présent, telle que ta maman aurait souhaité que tu te découvrisses à toi-même ! Je n’ai plus guère à t’apprendre et je crois pouvoir en être très fier !
.oOo.
A suivre...
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La loi des forêts* - par Chiara Cadrich - 16.12.2019, 00:42

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