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La diète amoureuse
#5
.oOo.
Evidemment, c’était ridicule… On n’accorde pas son amour éternel, au hasard d’un jeu, à l’aveugle !

Mais justement, il n’y a rien de plus aveugle que le béguin d’une petite hobbite, sinon la jalousie d’une cousine sans béguin.

Une douzaine de mains agiles et potelées se mirent à farfouiller dans la resserre, éperdument. Avec des cris d’orfraie, on retourna les étagères, on ouvrit les caisses. Des outils tombèrent, des colifichets du grand-père se brisèrent et quelques disputes éclatèrent. Gerry jubilait, absolument ravi de la compétition sentimentale qu’il suscitait. La clé du Donjon, octroyée fort à propos par quelque fée de l’amour, étincela dans la main d’Odrazàr, qui déverrouilla la serrure et sépara les rivales, réconfortant chacune d’un sourire enjôleur et attisant la flamme de ses admiratrices.

Mais la cohue continuait ses déprédations… Odrazàr le charmeur commençait à comprendre que les hobbites déçues pourraient bien se montrer mauvaises perdantes, et se promit de prévoir plusieurs prix de consolation, lors de la prochaine représentation, pour désigner les demoiselles de compagnie… Ainsi son sérail retrouverait l’harmonie éprise et grégaire qu’il lui concevait.

Priscilla Sonnecor, fébrile et virulente, trouva un coffret en bois précieux, au grand dépit de ses rivales. Une lutte s’engagea, que la petite hobbite fit cesser en se saisissant d’un plantoir, d’un air farouche :
-« C’est moi qui l’a trouvé, c’est moi qu’a l’ouvre ! »

Les jeunes hobbites, contrites, firent cercle autour de la lauréate, qui sacrifiait à la solennité de l’instant en ouvrant l’écrin d’un geste majestueux. Odrazàr le bellâtre s’approcha au son de fanfares nuptiales imaginaires.

Priscilla adressait une œillade langoureuse à son promis tout en fouillant dans le coffret, lorsqu’elle fut interrompue par une volée de grosses mouches qui s’en échappèrent. Elle poussa un cri d’horreur en lâchant la précieuse boite, aussitôt imitée par ses compagnes – de gros vers roses et blancs y tordaient leurs anneaux dans un lit de terreau malodorant.

Odrazàr le félon fut aussitôt pris à parti par les princesses, qui jugèrent cette blague du plus parfait mauvais goût. Le Héros réalisa, mais un peu tard, qu’il avait un peu surestimé son charisme et l’admiration éperdue de son auditoire, et commençait à désespérer de se sortir de ce mauvais pas.

Seule sa petite sœur, que la boite de vers pour la pêche de son grand-père ne dégoûtait pas du tout, trouva l’idée romanesque. Se saisissant de la bague au milieu de la masse grouillante, elle demanda d’un air innocent :

- « Maintenant c’est moi qui l’a ! Est-ce que je peux t’épouser ? »

Les chamailleries cessèrent d’un coup, devant tant de candeur. Gerry, avec un à-propos sidérant, rejeta une mèche rebelle, prit sa petite sœur dans ses bras et, se tournant vers les candidates recalées, lança avec fougue :

- « Voici la plus courageuse de toutes ! C’est ma sœur et c’est une Touque ! Je ne puis vous dire mon désapp… désab… désench… Enfin bref, vous m’avez terriblement déçu aujourd’hui ! »

Odrazàr le furieux tourna les talons, sortit de la remise et traversa le potager témoin de sa victoire, avec la superbe d’un roi déchu - déçu ? Enfin bref, vous avez compris.

Mortifiées par cette sortie théâtrale, les petites hobbites subirent donc la loi du jeune bourreau des cœurs, s’accusant de couardise, au lieu de s’insurger contre son manque patent de galanterie et de considération.
Et il devait en être ainsi, pendant de nombreuses années…
.oOo.
Fin.
Extrait du Livre Vert de Bourg-de-Touque
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La diète amoureuse - par Chiara Cadrich - 21.10.2018, 12:01

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